Hadopi censuré : la victoire des pirates ?

Alors est-ce la victoire des pirates pour autant ? Et bien non ! Car non seulement cette censure partielle ne remet pas en cause le droit d’auteur mais certains articles validés de la loi le conforte ou le renforce. Néanmoins, attardons nous sur les passages les plus intéressants (la décision complète est visible sur le site du Conseil).

Qu’est-ce qui a été censuré ?

Des juristes avaient déjà étudié la question avant le passage au Conseil Constitutionnel, notamment Estelle De Marco (dont l’étude complète peut être lue ici : http://www.juriscom.net/uni/visu.php?ID=1133).

Tout d’abord, le Conseil émet des réserves (en termes choisis on parle de réserves d’interprétation), ce qui veut dire que le Conseil recadre et clarifie certaines parties pour éviter les dérives ou une mauvaise interprétation.

L’article 10 confirmé mais…

En premier lieu, l’article 10 de cette loi, validé par le Conseil, stipule que les ayants-droits peuvent demander à un juge (du Tribunal de Grande Instance) de prendre toutes les mesures appropriées pour faire cesser une atteinte à leur droit. Certains craignaient que cela n’ouvre la porte à des ripostes disproportionnées, mais le Conseil valide en indiquant simplement mais fermement que c’est l’autorité judicaire qui veillera à ce que seules les mesures strictement nécessaires soient prises. En pratique, avec la suite de la décision du conseil, cela reviendra probablement à dire que seuls les abonnements servant exclusivement au piratage pourront être suspendus, ce qui constitue déjà une limitation de taille si celle-ci se confirme dans la pratique.

Cet article indique 10 également que les fichiers litigieux pourront être supprimés par l’hébergeur, mais cela n’apporte rien de nouveau, l’état actuel de la législation le permettant déjà.

L’adresse IP : une donnée nominative ?

Un point très important sur lequel est revenu le Conseil est l’identification par adresse IP. Son utilisation doit être recadrée pour ne pas porter atteinte à la vie privée, et pour cela des précautions sont à prendre, car utiliser cette adresse IP pour identifier l’internaute (ou tout au moins le titulaire de l’abonnement) revient à personnaliser l’usage de cette information, qui jusqu’à présent n’était pas nominative, mais qui le deviendra dans l’usage qui en sera fait avec la loi Hadopi. Conséquence importante : Tout usage de cette donnée désormais nominative devra avoir l’aval de la CNIL, qui devra notamment s’assurer qu’elle n’est utilisée que dans le cadre d’une procédure judiciaire, et pas (par exemple) pour constituer une liste de pirates…

On pourra noter cette référence appuyée à la CNIL, dont l’autorité est remise en perspective alors que cette commission avait été écartée des débats concernant cette loi. Donc pas de censure, mais un rappel à une utilisation raisonnable de cette information.

Internet un droit fondamental ? Le grand débat.

Les opposants à la loi arguaient qu’internet était un droit fondamental, en s’appuyant notamment sur le fameux amendement Bono (ou 46/138). L’enjeu était de taille : car dans le cas d’une reconnaissance en tant que droit fondamental, cela signifiait que seule une autorité judiciaire pouvait en priver un individu. Or l’Hadopi (qui siginifie Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet) n’est qu’une autorité administrative.

De ce côté, la Conseil Constitutionnel a frappé fort, en allant même au délà :

Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : “ La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi “ ; qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services.

Le Conseil indique donc que non seulement internet participe à la liberté d’expression, mais que cette liberté n’est pas limitée aux moyens de communication existants ! Cela signifie clairement que la liste n’est pas limitative…

Qui peut couper l’accès internet ?

Fort de cette réflexion sur l’usage d’internet, il reste l’opposition entre ce droit fondamental et le droit d’auteur. La législation a justement pour but de délimiter le terrain d’application de ces droits, quand il y a ce genre de conflit, et de ce côté le Conseil tranche sans ambigüité : la défense des droits d’auteur ayant des implications sur une liberté fondamentale (le droit d’expression), seule une autorité judicaire peut en être chargée. Donc l’Hadopi ne pourra pas ordonner la fermeture d’un accès internet, seul un juge pourra le faire.

Un dernier problème : la présomption de culpabilité

Un autre point ayant soulevé débat est celui de la coupure automatique d’un abonnement suspecté de servir au piratage. En plus des précautions vues plus haut (utilisation de l’adresse IP, procédure judiciaire impérative), le Conseil a également censuré cette disposition, car la Constitution institue la présomption d’innocence (ainsi, l’article 9 de la Déclaration de 1789 sur laquelle s’appuie la Constitution, dit que « tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable… »).

Or la loi Hadopi instituait de facto une sanction systématique où l’internaute, présumé coupable, devait démontrer son innocence, ce qui est manifestement contraire à ce principe, la sanction intervenant avant tout procédé contradictoire, et renversait la charge de la preuve (le principe étant qu’il faut, dans le cadre de la présomption d’innocence, prouver que quelqu’un est coupable, alors qu’avec les disposition de la loi, il revenait à l’internaute de prouver qu’il n’était pas l’auteur de l’infraction). Comme le note Me EOLAS (attention : ce nom est un pseudonyme) http://www.maitre-eolas.fr/2009/06/11/1447-in-memoriam-hadopi, ce genre de disposition (la présomption de culpabilité) existe dans le code pénal nord-coréen, mais dans le nôtre…

Une dernière touche d’humour

On notera qu’au-delà de sa décision, le Conseil s’est permis quelques traits d’humour (noir, sans doute), à la fois en remettant la CNIL en selle (elle avait été écartée des débats), mais aussi en demandant explicitement « de limiter le nombre d’infractions dont l’autorité judiciaire sera saisie ». C’est peut-être aussi un rappel à l’ordre pour indiquer un manque de moyens pour la Justice, ce qui ne manquera pas de faire encore débat (mais dans un autre cadre) si des tribunaux spéciaux sont créés pour l’application de la loi Hadopi.