Ecriture inclusive

Ce n’est pas parce que la cause est juste qu’elle est bien défendue : la fin ne justifie pas toujours les moyens, loin s’en faut (j’aime bien cette expression). Donc je hais, j’exècre, je déteste l’écriture inclusive qui n’est qu’une élucubration de bobos incultes paresseux s’imaginant cultivés tout en écrivant en SMS. Il y a d’autres solutions !

“Françaises, Français, réjouissons-nous, nous vivons dans un siècle qui a résolu tous les vrais problèmes humains en appelant un chat un chien.”

Réquisitoire contre Renée Saint-Cyr, Pierre Desproges

De dangereux précédents

Ce qu’on appelle l’écriture inclusive (l’écriture épicenne avec un point médiant) introduit au moins deux dangereux précédents dans l’écriture :

  • Tout d’abord on amène des idées politiques (peu importe qu’elles soient bonnes ou mauvaises, d’ailleurs) dans un objet qui doit rester neutre par essence. L’idéologie n’a pas sa place dans l’écriture, elle a sa place dans ce qui en est produit (les oeuvres, les essais, les commentaires, etc.) mais pas dans sa nature la plus profonde.
  • Elle est clivante (de par son caractère idéologique) alors que l’objet même de l’écriture est d’être la plus universelle possible.
  • Pour la première fois, on ne lit pas ce qu’on écrit, on l’interprète (avec plus ou moins de bonheur) : il faut reconstruire les mots pour en comprendre le sens.

Par ailleurs, il sera (j’espère) difficile de trouver une forme qui convienne à tous, ni même à une majorité. Chacun ira de son particularisme, de sa bonne intention, de sa règle d’usage qui se telescopera avec ce qui est le véritable ciment d’une langue : l’acceptation par tous.

En quelques points (non médiants)…

En effet, voici ce que j’en pense, dans le désordre :

  • Il suffit de réfléchir un peu pour trouver d’autres solutions antérieures à sa création (ou tout du moins sa popularisation), sous la forme de doublets abrégés, bien que non recommandées par l’Office québécois de la langue française pour les textes longs, ou de la double flexion (“Mesdames, Messieurs”) ;
  • en conséquence, c’est une écriture de flemmard, encore moins lisible que du SMS ;
  • l’écriture inclusive ressemble à une invention marketing d’une boîte de pub (cf. sources d’information);
  • autant je pouvais comprendre qu’autrefois dans les journaux écrits la place était comptée, et que le recours aux abbréviations était légitime, autant de nos jours nous avons dix doigts ou en tout cas tous les outils et l’espace nécessaire pour écrire “recherchons ingénieure ou ingénieur” à la place de l’horrible “rech. ingénieur.e” ;
  • l’écriture inclusive est moche, même un ministre l’a dit, alors hein…
  • elle complique la vie de tout le monde et potentiellement peut compliquer l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, comme le souligne l’Académie Française et de nombreux enseignants confrontés au problème ;
  • de façon générale, le politiquement correct risque de rapidement nous conduire à un monde dictatorial où la pensée devient un ennemi (cf. citation de Pierre Desproges), et où s’opposer à une idiotie sera puni à partir du moment où l’idiotie défend une cause qualifiée de juste ;
  • que la lutte contre les préjugés est louable mais qu’il ne faut pas s’attaquer qu’au messager (l’écriture, la langue) sans s’attaquer au comportement et à l’éducation ; un symbole n’a qu’une force… symbolique !
  • ce type d’écriture est exclusif, au sens où il exclut pas mal de gens : il faut en effet déjà maîtriser la langue française avant de maîtriser cet artifice, qui a en outre un effet inédit dans la linguistique puisqu’on ne lit pas ce qui est écrit : il faut interpréter ! Demandez donc à un partisan de l’écriture inclusive de lire son texte à voix haute : soit il n’y arrivera pas, soit il emploiera une forme audible (cf. ci-dessus “recherchons ingénieure ou ingénieur”, ce qui par la même occasion lui montrera qu’il existe déjà une solution simple) ;
  • et que fera-t-on pout inclure les aveugles, les sourds, les paraplégiques et tétraplégiques, les beaux, les laids, les grands, les petits, les blonds, les bruns, et tous les particularismes humains ? Pourquoi n’auraient-ils pas droit eux aussi d’être représentés dans notre écriture, puisqu’eux aussi subissent à divers degrés de la discrimination ? Quid également des LGBTQIA+ : seront-ils exclus de l’écriture inclusive ? Les iel et autres touz n’arriveront jamais à représenter toute cette diversité ;
  • enfin, on nous prend vraiment pour des cons (et je pèse mes mots) pour nous faire croire que la grammaire conditionne seule notre pensée. Le turc et le farsi n’ont pas de genre grammatical, et on voit que le résultat n’est pas des plus probants pour la condition de la femme dans les pays où on parle ces langues.

Ne confondons pas règles de grammaire et éducation

Pour lutter pour la place des femmes, il serait beaucoup plus pertinent et utile de mettre en avant des femmes dans les matières enseignées à l’école, et d’avoir un discours intelligent.

Par exemple, ma fille m’a dit l’autre jour que ça n’était pas juste que le masculin l’emporte sur le féminin. Ce à quoi je lui ai répondu : effectivement, mais ça n’est vrai que pour les règles de grammaire, et surtout ça ne signifie pas que l’homme l’emporte sur la femme ! C’est simple, facilement audible par des enfants, on peut le répéter régulièrement, et ça ne perturbera pas l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, déjà difficile.

(…) la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes doit avoir lieu sur le terrain politique et social. Pas dans les salons, où l’on souhaite imposer telle ou telle fioriture censée rendre grâce au masculin ou au féminin.

Alain Bentolila : « L’orthographe devient un marqueur idéologique », Le Point (juin 2023)

Le mot du sociologue

Compliquer l’écriture, c’est exclure. On sent bien intuitivement que plus la forme est complexe, moins il y aura de personne dans une population qui pourra la parler correctement. Or comment diffuser le savoir s’il faut reformuler pour chaque population, ou si la forme de l’écriture empêche certains de bénéficier de cette diffusion ?

Quoi que l’on pense de l’écriture inclusive, il est évident qu’elle complique l’usage de l’écriture.

Il fut un temps où les priorités étaient bien différentes. Plutôt que chercher à promouvoir un usage plus juste mais plus complexe de l’écriture, on cherchait à en imaginer des formes plus simples, donc plus égalitaires. Il est vrai que cela ne date pas tout à fait d’hier. Nos contemporains ne savent pas toujours ce qu’ils doivent à Alcuin, un grand savant du VIIIe siècle. Cet érudit d’origine anglo-saxonne eut une grande influence sur Charlemagne, qu’il rencontra à Parme en 781. Celui qui régna pendant quarante-quatre années avait à cœur de favoriser la formation intellectuelle de ses sujets. Alcuin y contribua de bien des manières et d’une façon décisive par la simplification de l’usage de l’écriture. Celle-ci se fit principalement en imposant la minuscule caroline et quelques règles simples comme la séparation des mots par des espaces, l’usage de lettres arrondies ou encore de la ponctuation. Ces réformes permirent l’uniformisation des modes régionales et une plus grande accessibilité des textes dans tout l’empire.

Apocalypse cognitive, Gerald Bronner (2021)

J’en vois déjà qui vont vouloir s’en prendre à G. Bronner pour attaquer mon propos, mais s’attaquer au messager ne changera pas l’histoire (d’Alcuin et de la simplification de la langue française).

Mon expérience

Point intéressant, je signale à l’attentif lecteur que je n’ai jamais appris l’écriture inclusive, que je ne l’ai jamais employée et pourtant, très curieusement, je n’ai jamais frappé ma femme. D’où vient ce miracle sociologique ? De l’éducation, peut-être, et non de la forme de l’écriture.

D’un autre côté, plutôt que de se battre contre des moulins à vent à coup d’amalgame douteux, l’éducation et l’exemple seraient beaucoup plus utiles et productifs qu’une écriture inclusive sous la forme qu’on nous promeut. Mais d’autres auteurs (cf. sources) argumentent tout cela bien mieux que moi.

Pour combattre plus efficacement le sexisme, d’autres combats seraient plus efficaces mais beaucoup plus difficiles, comme avec les religions où dans la plupart les hommes règnent encore en maîtres. Mais ça n’est pas politiquement correct de s’attaquer à ce domaine…

Sources d’information

Les sources suivantes sont plus ou moins honnêtes, mais en tout cas émanant de personnes qui réfléchissent. Les sites sont parfois un peu anciens, c’est-à-dire 4-5 ans, ce qui est une éternité en cette période d’immédiateté, mais les idées n’ont pas d’âge.

Quand l’action prime sur la cause

Un des grands reproches que je fais à nos “militants” contemporains est de trop souvent confondre l’action et la cause, en oubliant le sens de l’action pour ne se concentrer que sur la forme.

L’écriture inclusive n’est qu’un (mauvais) moyen au service d’une cause qui reste à défendre mais un peu mieux que cela.