Selfiephobie

Je suis selfiephobe. Voilà, c’est dit : je hais les selfies. Il m’arrive d’en faire, j’en conviens, mais je m’inquiète de cette façon de se mettre en scène de façon narcissique. Etant d’un naturel tempéré, convaincu que l’équilibre est une vertu en toute chose, je ne supporte pas cet égocentrisme exacerbé, couplé à la dépendance réseausociétale qui nous entoure. Les québécois, toujours à la pointe de la défense de la langue française, remplacent avantageusement selfie par egoportrait.

Crash selfie ou trash selfie ? © 2018 Giorgio Lambri (journal Liberta).
J’ai vu récemment un journal qui titrait sur un individu qui prenait un selfie lors d’un accident (une personne ayant été heurtée par un train), et je me suis remémoré une image frappante de la campagne d’Hillary Clinton où une foule entière lui tournait le dos pour faire des selfies.

Première réaction

Ma première réaction fut simplement de lever les bras au ciel devant la bêtise panurgérique et narcissique des djeuns, et de crier au désespoir pour l’avenir de l’humanité et de l’intelligence.

Seconde réaction

Je me suis repenché sur cette image bien plus tard, après le selfie près d’un accident. J’ai retrouvé l’image, et je me suis demandé comment cela se faisait-il que tout le monde se soit retourné au même moment. La réponse est simplissime : Hillary Clinton a elle-même indiqué que les personnes souhaitant faire un selfie pouvait le faire.

Interprétations

Un commentateur visiblement instruit (minorité quasi-invisible sur internet) remet un peu tout cela en ordre et en perspective, mais pas complètement à mon sens. De nombreuses controverses sont nées de l’interprétation de cette image, comme j’ai pu le faire dans ma première réaction.

Parmi les critiques, celle de dire que les spectateurs furent les initiateurs de ce mouvement de foule, priorisant la mise en scène de leur image accolée à celle de la candidate sur le reste. Or il s’avère que ce selfie géant était organisé, ou qu’il avait été déclenché (il n’était donc pas spontanté).

Sur le narcissisme et la forme, il est exact que les formes de communication et donc de la mise en image évoluent (comme la langue), et que le selfie devient fréquent, voire la norme. Mais cela n’efface toutefois pas (à mon sens) totalement l’égocentrisme de ce type de photo, car il se suffit plus de capturer l’événement ou l’image : il faut prouver que l’on y était bien.

Il est compréhensible qu’avec l’avalanche de photos produites partout, capturer un événement ou un sujet emblématique, représentatif ou rare (en terme de fréquence de survenance) seul n’apporte plus la même force émotionnelle qu’autrefois, où rares étaient les témoins disposant de la capacité de mémoriser le sujet. Mais se placer systématiquement en superposition sur ce sujet relève quand même d’un besoin de se mettre en avant de façon exagérée, ce qui est la définition même du narcissisme.

Alors : pour ou contre ?

Je reste farouchement opposé à ce genre d’expression qu’est le selfie, car malgré tous les bons arguments relevés par notre commentateur sur les mauvaises interprétations faites de cette image, il n’en reste pas moins vrai que presque tous les spectateurs ont pris leur selfie avec la candidate Clinton en toile de fond, reléguée presque à l’état objet.

Par ailleurs, même avec son accord, je trouve déplorable de tourner le dos à son interlocuteur : autant face à un paysage il n’est guère question d’usage et de politesse, autant avec une personne il en est autrement.

Dans le temps, il était courant de demander à un passant (ou à son voisin, dans la foule) de prendre une photo afin de pouvoir y figurer. Aujourd’hui, nous nous passons de l’autre, de son aide, de son contact, pour ériger son autosuffisance et son image personnelle en valeur suprême : je fais moi-même une photo de moi sans quoi l’image ou le moment n’a pas de valeur (ou pas autant).

Enfin, pour appuyer ma mauvaise foi assumée, sachez qu’en 2015 les selfies ont tué plus que les requins.

Le selfie géant de la candidate Hillary Clinton 
© 2016 Barbara Kinney @barb_kinney

Et sinon

Pour ceux qui s’intéressent à ce qui a pu se passer durant les élections américaines de 2016, j’en touche un mot sur mon site “pro” parlant de sécurité informatique.